Récemment, nous avons assisté à la première victoire du Mbolé lors la prestigieuse cérémonie des Canal d’or Act 13. Une victoire presque évidente, car on sait comment l’actuel « ambassadeur » Happy D’Effoulan (L’artiste Mbolé le plus en vue) a fait danser les mélomanes, les adeptes de musique d’ici et d’ailleurs à travers ce rythme qui désormais dépasse les frontières. Ces deux dernières années le Mbolé a pris une trajectoire ascendante, ce rythme révolutionnaire est repris par tous des Deejays, dans les cérémonies et dans presque tous les médias. Son expansion est réelle de sorte qu’on pourrait dire que « Le Mbolé a pris le pouvoir » pour reprendre les mots de ses adeptes communément appelés les « Mboléyeurs ». De plus, les artistes camerounais ont commencé à s’y intéresser, Micheal Kiessou, Dynastie Le Tigre, X-Maleya et bien d’autres; sans oublier les artistes étrangers à l’instar de Fanicko qui s’est également prêté au jeu.
Cependant l’horizon n’est pas encore totalement éclairci en ce qui concerne l’avenir du Mbolé. Malgré son expansion flagrante, ce rythme est encore loin de vivre ses beaux jours sur la scène musicale internationale. La preuve après la réception de son trophée à la cérémonie des Canal d’Or Act 13, l’artiste Mbolé, Happy d’Effloulan a tenu à adresser un message, un plaidoyer, qui invitait les acteurs de l’industrie musicale à s’investir et à investir sur le Mbolé. « Chers Médias, Promoteurs, Evènementiels, Producteurs, Entreprises, Acteurs de l’industrie musicale, misez gros sur le MBOLE, on a besoin de vous » pouvait-on lire sur la banderole qu’il tenait entre ses mains. Alors, plusieurs questions se posent: quel avenir pour le Mbolé? Deviendra t-il une référence pour la musique camerounaise au même titre que le MAKOSSA? Quels sont les enjeux de son exportation véritable? Ces questions surviennent à l’issue d’une immersion dans cet univers du Mbolé qui ressemble plutôt à une culture qu’à un simple rythme. Allons à la rencontre des faits.
Plusieurs débats avaient déjà été soulevés sur les origines de style musicale ainsi que sur les détenteurs de sa paternité . Je vous invite à cliquer ICI pour vous mettre à la page. A présent nous allons aborder 04 facteurs qui pourraient freiner l’envol du Mbolé.
1-La Confusion d’identité
Le Mbolé a beau avoir ses codes qui le rendent assez particulier et authentique, mais il n’est pas créé à partir de rien. Dans la conception et la mentalité des artistes et adeptes du Mbolé, il semblerait que ce rythme soit un nouveau style qu’ils souhaitent imposer. Pourtant, il est clair que le Mbolé est un mélange de Bikutsi, Bendskin Makossa, et du Makunè (pas seulement) associé au storytelling de la rue. C’est exactement cela qui fait de lui un rythme rassembleur et fédérateur car il n’appartient spécifiquement pas à un peuple, ni à une tribu. Toutefois, croire que le Mbolé est la musique du futur et que tous les artistes camerounais devraient s’y mettre reste quand même intriguant. Il n’en demeure pas moins que certains artistes s’y mettent par suivisme, tout simplement parce que c’est le truc qui marche pour l’instant. Or ils s’en sortiraient mieux en modernisant leur rythme de prédilection. Si on parle aujourd’hui du Mbolé avec pour référence Aristide Mpacko, c’est encore plus haut si on parlait du Makossa avec pour référence Manu Dibango, Richard Bona, Kotto Bass ou encore Eboa Lotin. Aujourd’hui on parle de d’Afro-Fusion et d‘Afrobeats ( avec « s ») qui ont des influences multiples et s’éloignent de la marque de fabrique originale mais la référence reste l’afrobeat de Fela Kuti. Donc, une autre alternative pour les artistes camerounais, serait de se servir de nos rythmes et styles musicaux qui ont fait de notre pays une référence et y infuser du modernisme afin de pénétrer la scène internationale. On parlerait alors de Makossa-Fusion ou bien de Bikutsi-Fusion qui donneraient plus chance à nos artistes pour conquérir le monde. Sans toutefois adopter une posture défaitiste face au Mbolé, retenons qu’il n’existe pas de son unique!
2- Un cercle restreint
Si on ignore les deux dernières collaborations des artistes du Bikutsi (Mani Bella, Majoie Ayi) avec des artistes Mbolé (Happy D’Effoulan, KanKan Boys), Jusqu’à présent, il n’existe seule femme chanteuse de Mbolé, pas vraiment connue. Elle s’appelle K-Risma, le titre de son single est « La main de Dieu »; elle parle d’espoir avec un flow qui n’a pas une vraie plus value.
Les chanteuses sont moins attirés par le Mbolé. Un constat qui n’est pas du tout étonnant car en plus du langage qui est « trash », les sujets abordés dans le Mbolé, font référence aux réalités du ghetto, la drogue, la violence, la trahison, la revendication… on voit mal une femme parler de telles thématiques avec autant de grossièretés. Pourtant, la femme est un atout favorable dans la commercialisation d’un produit, et la musique n’est pas en reste. Le coupé- décalé ivoirien reste tout de même un contre exemple car il n’a jamais été un style musical dans lequel les femmes ont excellé. De plus, il n’existe pas à ma connaissance une chanson Mbolé qui parle d’amour et de charme mais beaucoup plus de revendications. Dès le départ, le Mbolé s’est très vite assimilée à la délinquance et au voyoutisme, les noms d’artistes en disaient déjà beaucoup: « Petit Bozard l’artiste des boys« , « Petit Malo« … Du coup, ils se sont faits cataloguer. Ce n’est que récemment que les artistes Mbolé ont commencé à migrer vers un style vestimentaire plus épuré, des beaux clips et des thématiques positives. Malgré cela, le Mbolé n’est pas ouvert aux collaborations internationales, peut être à cause de ses codes qui le condamnent à rester une musique typiquement Camerounaise. Il semble difficile pour un artiste Mbolé de fusionner sur une chanson (afrobeat par exemple) avec artiste de style différent. Jusqu’ici cela ne s’est pas encore fait. Par contre le Mbolé adhère bien au Bikutsi, c’est probablement la raison pour laquelle les collaborations se font facilement avec des artistes de ce style.
3-La monotonie
Personne ne dira qu’il n’a jamais eu sensation du « déjà entendu » à la première écoute d’une chanson Mbolé. On a l’impression qu’on nous sert à chaque fois du réchauffé. Les thèmes sont à peu près les mêmes, les compositions, les arrangements, les mélodies et parfois les flows sont quasi identiques. Voici exemple assez flagrant! Si vous écoutez les deux chansons ci-dessous vous vous rendrez certainement compte que c’est clairement la même mélodie. 👇
On observe un gros manque de créativité qui n’a rien à voir avec l’originalité du Rythme en question. Cette ressemblance à la poésie pousse certains artistes Mbolé à faire des rimes « forcés », complètement éclatées, qui n’ont aucune de cohérence. Généralement les rimes sont en « é » , « ô », « a » … et des allitérations en « R » ou « Z ». Voici une autre chanson qui fait étrangement penser au titre « Alléluia » de Médécins de Médeline.
Les chansons Mbolé sont pour la plupart des « Fast Food » qui s’oublient aussi rapidement qu’elles sont consommées. Le public en veut plus, il est déjà assez tolérant. La chanson « Tchapeu Tchapeu » d’Happy d’Effoulan sortie en fin Novembre 2020 n’a pas eu le même impact sur la durée que « Caleçon » de KO C sortie pratiquement à la même période. Les vues sur YouTube en témoignent davantage: 5 millions contre 12millions de vues en faveur du titre « Caleçon »; ceci en 12 mois (sensiblement). Pourtant ce titre « Les pleurs du Mbolé » a eu un gros buzz dans tout le pays et dans la diaspora.
4-Le manque de vision et de structuration
Malheureusement, les artistes Mbolé donnent l’impression de ne pas avoir une vision grande de leur musique. Peut être à cause de leur jeunesse, car il faut avouer que les artistes de Mbolé pour la plupart sont des jeunes exceptés les leaders (précurseurs) qu’on connait. La tranche d’âge se situe entre 18 et 25 ans. Très peu ont des projets discographiques, la plupart se contente de faire un hit (avec un peu de chance), de tourner dans tous les snacks, les mariages, les grandes cérémonies… et si possible obtenir des distinctions. On est d’accord que c’est le modèle économique le plus probable dans une industrie précaire comme la nôtre. Mais, avec une telle démarche, on a très vite fait le tour. Et une fois que l’artiste a plafonné, c’est la descente aux oubliettes. Les Artistes du Mbolé bien qu’ayant la notion du spectacle, puisque le Mbolé est à la base un rythme d’animation des foules, ils n’ont pas encore la culture du spectacle live. C’est à dire accompagné d’un orchestre. Ils sont beaucoup dans l’animation, le show que dans le spectacle soigneusement pensé. Les musiciens ne se sont pas encore réellement appropriés le Mbolé de manière à produire un concert 100% Live. Il n’y a vraiment pas de direction artistique efficiente.
Face de tels constats, il est difficile d’affirmer que le Mbolé c’est la musique du futur. Ce serait très précoce de le dire. On y voit un fort potentiel, mais qui un gros travail de structuration reste à faire pour espérer une exportation de ce rythme. Le Mbolé est fédérateur et prône l’unité, grâce à lui on assiste à la naissance de plusieurs groupes de musique de la nouvelle génération. Cependant, il existe toujours des guerres de clans dans ce mouvement. La philosophie et l’image du Mbolé doivent pouvoir faire rêver et toucher les coeurs. Et surtout, les compositions et l’écriture doivent être sophistiquées. Les Artistes doivent adopter une vision plus grande de leur art. Alors, ce cri d’alarme lancé par Happy D’Effoulan reste valable et devrait dans un premier temps interpeller les producteurs, les managers et les directeurs artistiques qui devront encadrer et donner au Mbolé une image qu’on puisse vanter. Une nouvelle ère musicale s’annonce au Cameroun.
